Union Académique Internationale

Iusti Lipsi Epistolae

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Projet nº70, adopté en 2006

Quand Herman Bouchery fut invité à délivrer une laudatio sur Justus Lipsius (1547-1606) devant les membres de l’Académie royale flamande des Sciences, des Lettres, des Beaux-Arts de Belgique en commémoration du 400e anniversaire de la naissance de l’érudit, il a commença d’une manière assez inhabituelle, s’excusant de ne pas pouvoir donner un portrait clair et complet de son sujet. Bien que Lipsius ait été un savant brillant avec un large éventail de talents et ait été considéré comme un pilier et un phare par ses contemporains de l’Europe entière, les recherches sur sa vie, ses œuvres et ses idées ont été complètement négligées malgré l’abondance de documents à notre disposition. Bouchery souligna particulièrement la nécessité d’une édition critique et annotée de sa correspondance prolifique, à l’exemple de l’édition alors presque terminée des lettres d’Erasme par P. S. Allen, comme une étape indispensable vers une biographie approfondie de cet éminent savant. Bouchery décéda peu de temps après, mais Aloïs Gerlo et Hendrik Vervliet reprirent le flambeau : ils contactèrent des bibliothèques universitaires et nationales en Europe et en Amérique pour avoir une vision claire des sources disponibles. La réponse fut écrasante : quelque 4 300 lettres (environ 600 de plus que la correspondance d’Erasme), écrites par Lipsius ou envoyées à lui, purent être retracées et cataloguées dans l’Inventaire de la correspondance de Juste Lipse (Anvers, 1968). Depuis lors, environ deux cents autres lettres ont été découvertes. La plupart d’entre elles sont écrites en latin (à peine 1% sont écrites dans une langue vernaculaire, principalement le néerlandais ou le français), et il convient de souligner que ni l’écriture de Lipsius ni son idiome ne sont une sinécure, pas même pour le latiniste qualifié disposant de tous les outils électroniques.

Cette correspondance s’est avérée être une source indispensable pour l’étude, d’une part, du renouveau de la philologie latine et de l’histoire antique durant la Renaissance et, d’autre part, de l’histoire de la civilisation de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle en général et de l’humanisme en particulier. L’index de l’Inventaire mentionne les noms de plusieurs des plus illustres humanistes de l’époque non seulement aux Pays-Bas, mais aussi en France, en Italie, dans la péninsule ibérique, dans les régions dominées par les Habsbourg, en Pologne et dans les pays baltes. La majeure partie de sa correspondance était adressée à des collègues et des étudiants ou anciens étudiants, car Lipsius était désireux de rester en contact avec eux, tant en ce qui concerne leurs études ou leur carrière que leur bien-être général et leur vie de famille. Ainsi de nombreux témoignages et des lettres de recommandation ou d’introduction ont été conservés. Les étudiants de Lipsius n’ont pas non plus oublié leur mentor et le tiennent au courant de leurs allées et venues, de leurs succès ou de leurs déceptions, et discutent avec lui de leurs activités savantes. Par ailleurs, ni Lipsius ni ses correspondants ne vivaient dans une tour d’ivoire : ils voulaient être tenus informés de ce qui se passait dans le monde. À maintes reprises, ils discutent de la situation politique aux Pays-Bas, mais aussi dans d’autres pays européens. Lipsius attendait avec impatience les lettres d’un certain nombre d’amis qui étaient occasionnellement envoyés en mission diplomatique et il s’est abonné aux premières « Gazettes », des journaux rassemblant des nouvelles de l’étranger. Lipsius invitait plus particulièrement les savants des régions éloignées à l’informer du déroulement des événements dans leur pays.

Mais surtout, la correspondance abondante de Lipsius avec d’éminents savants partout en Europe – sauf dans les régions sous domination ottomane – témoigne de sa réputation internationale couvrant de nombreux domaines et est, en tant que telle, une source inépuisable pour un biographe. En sa qualité de philologue et d’« antiquaire », Lipsius est devenu célèbre par sa familiarité avec les auteurs classiques. Ses éditions de Tacite et de Sénèque, toujours utiles pour les éditeurs modernes, montrent à la fois sa perspicacité critique envers leurs textes et sa connaissance extraordinaire du monde antique. L’étude inlassable de ses auteurs préférés lui a également fait développer son propre style concis et antithétique. En tant que philosophe, Lipsius a exercé une grande influence sur les idées des XVIIe et XVIIIe siècles. Outre ses traités philosophiques et sa correspondance, ses idées pédagogiques montrent clairement comment il a essayé d’appliquer les principes de la philosophie stoïque dans sa propre vie. D’éminents politiciens de son pays lui ont confié l’éducation de leurs fils. Convaincu que sa tâche ne se limitait pas à leur simple formation intellectuelle, il les a admis dans sa propre maison en essayant, selon les idéaux stoïciens, de les transformer en adultes capables d’assumer des tâches responsables au sein du gouvernement de l’Église et de l’État.

Enfin, Lipsius a confié l’édition de toutes ses œuvres à l’Officina Plantiniana, soit à Anvers, soit à Leiden, selon l’endroit où il habitait, et sa correspondance présente également un intérêt pour les historiens du livre. Plantin et Moretus ont fait tout leur possible pour fournir de belles éditions soignées sur du papier de haute qualité et ont gardé un œil attentif sur le stock : chaque fois qu’un titre était presque épuisé, une réimpression était entreprise, non sans demander à l’auteur d’éventuelles corrections ou des ajouts. De plus, leurs contacts commerciaux dans toute l’Europe ont grandement favorisé une livraison fluide et sûre de la correspondance de Lipsius.